Une histoire de jumelle

Dans l’air glacial de cette nuit sombre et silencieuse, que pas même la lune ne daignait éclairer, une femme encapuchonnée déposa devant d’immense porte un landau, deux paires d’yeux encore grand ouvert malgré l’heure tardive fixaient cette mère en pleure, cette mère ne pouvant assumer la naissance de ses petites jumelles. « Elles seront plus heureuses ainsi… Je suppose… » se disait-elle avant de sonner la cloche et de s’enfuir en courant, ne laissant que ses larmes pour seule trace. Pas un regard, pas une hésitation, elle courut jusqu’à perdre haleine, s’effondrant sur le sol humide et froid, il ne fallait pas qu’elle flanche, ses filles devaient être heureuses.

« Adieu… Abby… Gaëlle… Mes chères filles…»




C’était au beau milieu de la nuit que la cloche du couvent de Saint-Ombre retentie, une âme perdue ? Un voyageur demandant asile ? Les sœurs se questionnaient, mais aucune ne se serait attendue à voir cela. Devant la porte se tenait un landau contenant deux enfants à peine nées. Aucune frayeur n’était lisible dans leurs yeux, aucun cri, pas une seule larme. Mais ce n’est pas cela quii étonna le plus les nonnes. Non le plus surprenant, c’était qu’elle se tenait la main. Comme si à peine née, elles s’étaient déjà promis de veiller l’une sur l’autre.
Rapidement prisent en charge les jumelles furent emmenées à l’intérieur du couvent ou nombre de jeunes sœurs curieuses, c’étaient agglutinées pour espérer apercevoir la raison de cette agitation.

« Mesdemoiselles, retournez toutes dans vos lits ! » La voix de la mère supérieure avait résonné fortement dans les couloirs rocailleux du couvent, il ne fallut pas plus d’une minute pour que le silence ne revienne s’installer suite à cet ordre.

Il faut dire que personne n’osez contredire ses ordres. Pas loin de la soixantaine, du haut de son mètre quatre-vingt la mère Simone n’était pas la plus tendre. Un visage fermé, des yeux en amande capable de lancer des éclairs, une bouche fine aux lèvres pincées. Sans doute, aurait-elle pu être une belle femme si tout son être n’exprimait pas une dureté sans pareille. Une main de titane dans un gant d’ectofer voilà ce qu’était la mère supérieure du couvent Saint-Ombre.

La porte s’ouvrit à la volée, laissant place à la mère supérieure, le visage contrariée, s’avançant d’un pas rapide, elle avisa les deux jeunes nourrissons se tenant la main. À peine un regard qu’elle tourna les talons, nul besoin de s’attarder sur deux bébés.

« Qu’ont en prennent soin » lâcha-t-elle avant de disparaître.

C'est lorsque chacune fut prise par une nonne différente que retentit pour la première fois la voix des jumelles. La séparation n’était donc pas envisageable, et cela, les sœurs le comprirent bien vite, liée à jamais, c’est comme cela qu’elles avaient décidé de vivre. C’est plus tard, alors que les jumelles avaient été changés et couchés que la lettre fut remarqué, une lettre couverte de larme, écrite d’une main tremblotante, dernière et unique volonté d’une mère.



À vous mes sœurs,
Je vous en conjure, prenez soin de mes deux petites filles, prenez soin de mes anges… Accomplissez ce qu’une mère faible telle que moi ne peut. Offrez leurs l’amour qu’elles méritent et faites en de magnifique jeunes femmes. Je suis sûr qu’avec vous, elles seront bien plus heureuses. Je vous confie Abby et Gaëlle mes filles chéries puissiez-vous les guider vers la Lumière.

À vous mes filles,
Je suis tellement désolé… Sans doute m’en voudrez-vous lorsque vous serez en âge de comprendre ces lignes et cela ne sera que justice. Mais je veux quand même vous le dire. Vous êtes la plus belle chose qui me soit arrivé dans ma vie. La prunelle de mes yeux… Mes étoiles qui brillent dans le ciel. Soyez sage et grandissez bien. Car depuis là-haut, je vous observerai… J’espère qu’un jour vous pardonnerait mon choix…
Votre mère qui vous aime.

Du nouveau ensemble, chacune dans sa couverture brodée à son nom, les deux sœurs dormaient main dans la main, sous le regard bienveillant de leur nouvelle famille.

« Abby et Gaëlle… Bienvenue dans votre nouvelle demeure »

« Gaeeeelleuh, reveille toiiiii »

Les jumelle Saintombre comme elles aimaient se faire appeler avaient grandis dans un environnement saint. Toutes deux âgés maintenant de 6 ans, c’était le jour de leurs premier cours. Le jour où elles allaient enfin apprendre à pratiquer la magie sacrée.

Bien qu’elles soient jumelles leurs comportements étaient déjà en tout point différent, Abby était une enfant douce, attentive et ouverte aux autres, jamais elle n’hésitait à prendre la défense de ses amies et encore moins de sa sœur.
À l’inverse Gaëlle était une enfant turbulente, intenable, une peste n’hésitant pas à défier l’autorité des sœurs supérieures et s’amusant beaucoup des farces qu’elle faisait.
Cependant bien que différente sur ce point, les jumelles n’en restaient pas pour le moins inséparable. Gaëlle ayant la fâcheuse tendance d’entraîner bien souvent sa sœur dans ses aventures.
Malheureusement un jour l’une de ces aventures se termina d’une bien déplaisante façon.

Dès ses premières leçons, les sœurs ont su déceler en Abby une prédisposition à la lumière, une force intérieure qui pourrait faire d’elle peut-être une véritable incarnation de la Lumière. À l’inverse chez Gaëlle il n’y avait rien, rien d’extraordinaire, sans doute pourrait-elle faire une prêtresse lambda… Correct tout au mieux. Les sœurs redoublèrent alors d’efforts pour enseigner à Abby et devinrent bien plus sévères, l’empêchant de jouer avec ses camarades, l’enfermant parfois dans une salle avec un énorme bouquin pour seul compagnon. Tout cela coupant petit à petit le lien des deux sœurs, un plan machiavélique de la mère supérieure afin que Gaëlle ne puisse pas corrompre sa sœur, mais c’était sans compter sur l’ingéniosité de la jeune fille qui, pour aider sa sœur et la soutenir, parvint à se faire passer pour elle et ainsi offrir à Abby quelques moments de jeux et de joie.

Mais c’est un soir, par une nuit fraîche, que Gaëlle décida avec d’autres jeunes filles de son âge, d’aller voir les étoiles sur le toit du couvent. Une nuit sublime au demeurant, un ciel dégagé et une pluie d’étoiles filante en prévisions, la seule ombre au tableau était sa sœur, Abby ayant raté un examen, elle avait été punie durement, enfermée dans une chambre, seule. Bien sûr Gaëlle aurait pu l’en faire sortir mais c’était trop risqué, la mère supérieure s’y attendait et avait demandé à deux autres sœurs de veiller au grain. Laissant ainsi une Abby triste et boudeuse qui refusera jusqu’au repas qu’on lui apportera.

La nuit était déjà bien avancée lorsqu’Abby décida qu’il était temps, elle aussi elle voulait voir les étoiles ! Elle prétexta alors devoir aller aux latrines pour échapper à ses geôlières et filer rejoindre sa sœur et leurs amies. Le chemin jusqu’au toit était escarpé, le couvent était à flanc de montagne et il fallait passer par l’extérieur pour ne pas se faire voir, mais Abby avait l’avantage de l’âge et du poids aussi cela ne serait pas une grande difficulté pour elle.

Cependant. Il avait plu la veille et les roches s’étaient effritées et c’est à mi-chemin que la plus douce des jumelles glissa, se rattrapant de toute justesse au rebord. Son cri avait déjà alerté une partie du couvent dont Gaëlle la première qui, ni une ni deux se rua vers la corniche ou elle eut alors la pire vision d’horreur qui soit. Sa sœur était accrochée… Pendante au-dessus du vide, à deux doigts de tomber. Son sang ne fit qu’un tour, alors qu’elle dévalait le toit d’ardoises pour sauver sa jumelle, son cœur battant à lui arracher la poitrine.

« Pourvu que j’arrive à temps ! » se hurlait-elle intérieurement.

Les cris d’Abby avaient maintenant fini d’alerter tout le couvent et les sœurs, horrifiées, s’affairaient de toute part pour sauver la petite Abby, mais se fut Gaëlle la première sur place. Avec une force dont elle n’avait pas connaissance elle agrippa le poignet de sa sœur et la hissa sur la corniche avec elle, l’entrainant dans ses bras pour la serrer du plus fort qu’elle pouvait.

« Je te tiens frangine… Je te tiens » sanglotait-elle. Mais à peine avait-elle prononcé ses mots que la corniche céda sous leurs pieds, Gaëlle n’écoutant que son cœur poussa sa jumelle vers le rebord avant que le vide ne l’arrache de ses bras sous les yeux médusés de sa sœur.

« Soit forte » était les derniers mots de Gaëlle à sa sœur avant de périr vingt mètres plus bas...

On raconte que ce soir-là un cri de désespoir déchirant parcouru les collines d’Arathie.